Les vallées closes by Brun-Arnaud Mickaël

Auteur:Brun-Arnaud, Mickaël [Brun-Arnaud, Mickaël]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Acceptation, Déficience intellectuelle, Différence, Famille, Handicap, Harcèlement, Secrets, Violence, Préjugés, Homosexualité, Roman
ISBN: 9782221264492
Éditeur: Robert Laffont
Publié: 2023-01-18T05:00:00+00:00

— Allez, va le chercher, va le chercher !

— Tire-le, Patoche, tire-moi, faisait-on d’un rire gras.

— Vas-y Patoche, va me le chercher. J’t’inviterai pour l’apéro !

Partout, dans la salle de l’hôtel, les vieilles s’excitaient à mesure que le boulier se vidait et que les cartons se remplissaient. Retranchée derrière sa cour, Geneviève Maurel jaugeait Claude tout en posant ses jetons, comme si la regarder pouvait suffire à la faire déguerpir. Mais Claude, elle s’en foutait ; parce que Claude, il lui en manquait plus qu’un, de numéro, pour atteindre le carton plein.

« Va me le chercher, bordel », se languissait Claude, dans sa tête, seule sur ses tréteaux. « Vas-y, pour que je puisse en couper une belle part à mon chien que vous avez tenté d’empoisonner en saloperies que vous êtes… Allez… Allez… » Juste un petit 2, suivi d’un 9 ; la raison même pour laquelle elle avait choisi ce carton, parce que son Paulo était né un 29 avril et que c’était sa manière à elle de le venger, tout en posant son cul au milieu de la salle du loto de la nouvelle année, là où personne ne voulait la voir.

— Je sens qu’on va crier, on est tout près… Et il s’agit du…

— Va me le chercher, vas-y, va me le chercher, grommela Claude sans s’en rendre compte.

— Et c’est le… 29 ! annonça Patoche, les lèvres contre le micro.

— Ici ! cria Claude à s’en rompre les poumons, en se levant et en levant le bras. Ici !

En se rasseyant pour qu’on vienne vérifier ses numéros, Claude se dit que ça y était, qu’elle la tenait, sa vengeance ; que c’était peut-être pas grand-chose comme consolation, de gagner un carton, mais qu’au moins, son Paulo, y pourrait se remplumer en bouffant leur putain de jambon.

Elle cria « Ici » encore une ou deux fois ; pourtant, personne ne vint. Elle était où, la radasse de seize ans avec son micro qui venait hurler les numéros ? Ignorée, immobile comme une conne sur sa chaise en plastique, elle entendit Patoche reprendre sa manivelle et tourner, tourner encore le boulier ; et au nombre 32 qu’il vint annoncer, Geneviève cria et la salle se mit à applaudir.

Elle fut la dernière à partir, Claude, la dernière à ranger ses jetons et à rendre ses cartons. Elle était d’ailleurs encore en train de mettre sa veste lorsqu’ils éteignirent les lumières et qu’elle se retrouva là, avec une manche qui pendouillait, le fantôme de son jambon. Elle se mit à pleurer.

« Va m’le chercher, va m’le chercher… », récita-t-elle, frigorifiée, en remontant à pied la côte qui la ramenait chez elle.

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